I) L’Indochine et l’Algérie : une histoire commune ?
Nous allons grâce à un roman témoignage : « un barrage contre le pacifique », de Marguerite Duras, étudier le cas de l’occupation d’une possession française : l’Indochine.
Le livre :
Dans le sud de l’Indochine durant les années 1920. Une vieille veuve, fatiguée et malade, vit avec ses deux enfants, Joseph et Suzanne, vingt et dix-sept ans, dans un bungalow isolé de la plaine marécageuse de Kam en Indochine...
La vieille femme, ignorante des coutumes coloniales qui nécessitent d'avoir recours à des pots de vin, a investi toutes ses économies dans une concession incultivable que les grandes marées du Pacifique inondent régulièrement. Elle se bat alors contre la direction générale du cadastre, puis en désespoir de cause décide de construire, avec l'aide des paysans de la région, un barrage afin de contenir les grandes marées....
Si l’intrigue du livre est passionnante, sa richesse documentaire l’est sans doute autant. Marguerite Duras consacra surtout son attention au terrible trio de ses personnages. Mais la matière autobiographique ne l’empêcha pas de fixer déjà, dans ce roman colonial qui fustigeait les turpitudes de certains administrateurs français en Indochine, ce qui devint sa grande problématique : la dénonciation de l’injustice sociale, de la morale bourgeoise.
L’Indochine Française :
Ce pays était la colonie française d'Indochine, la péninsule appartenant à l'empire colonial français : le Laos et le Cambodge étaient deux protectorats ; le territoire vietnamien était constitué d'une colonie, la Cochinchine, dont Saigon était la capitale, et d'un protectorat, l'Annam-Tonkin.
Si l'investissement financier prospérait, si l'industrie naissait, en revanche l'agriculture progressait peu : à peine la moitié des terres concédées aux Européens étaient exploitées. Cependant, l’enseignement était plus développé que dans les autres colonies françaises : il y avait 4 % de fréquentation scolaire en Algérie et 30 % au Cambodge. Les parents de Marguerite Duras ne furent pas les seuls professeurs à avoir répondu à l'appel de la propagande coloniale.
La domination française était mal acceptée, surtout au Vietnam où existait déjà un mouvement anticolonialiste à la veille de la guerre de 1914.Marguerite Duras écrivit “Un barrage contre le Pacifique” alors que se déroulait la guerre d’Indochine qui opposait les Français et les nationalistes indochinois et que les intellectuels ayant adhéré au parti communiste commençaient à douter du bien-fondé de cet engagement.
Les enfants de la plaine :
La description des enfants de la plaine, dans le livre de marguerite Duras est une « photographie » de la dure réalité indigène de l’époque coloniale. Aux bébés, il faut «leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché».
Soumis à un tel climat, les Cambodgiens montrent une «torpeur millénaire». «Leur misère leur avait donné l’habitude d’une passivité qui était leur seule défense devant leurs enfants morts de faim ou leurs récoltes brûlées par le sel». En effet, «il y avait beaucoup d’enfants dans la plaine. C’était une sorte de calamité». «Les enfants jouaient de la pluie comme du reste, du soleil, des mangues vertes, des chiens errants. Ils ne cessaient de jouer que pour aller mourir [...] Il en mourait sans doute partout». Faute de quinine, ils sont aussi victimes du paludisme. Ce thème des enfants, de leur nombre, de leur perpétuelle agitation, de leur faim éternelle, de leur mort prématurée, s’impose à travers le livre qui se clôt même sur leur évocation : «Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil. On entendait leurs doux piaillements sortir des cases».
Un peuple miséreux :
Plus malheureux encore que les enfants Cambodgiens, il y a ce vieux Malais qu’est «le caporal» dont «la grande affaire de sa vie était la piste» car, lors de sa construction, «à côté des bagnards, il y avait les enrôlés comme le caporal» , surveillés par la «milice indigène pour indigènes». Puis il «avait fait ou essayé de faire tous les métiers» et même «l’épouvantail à corbeaux dans les champs de riz». Et ce travail incessant est nécessaire parce que sa femme «enfantait sans arrêt et toujours des œuvres des seuls miliciens» ; il est vrai que, «lorsqu’elle était plus jeune, elle avait fait la putain dans toute la plaine pour quelques sous». Aussi, la mère à peine morte, était-il parti : «il ne pouvait pas perdre un seul jour pour trouver du travail». «Le caporal» représente ainsi, dans le roman, tous les indigènes indochinois et leurs maux.
Les « blancs » :
Si l’exotisme prête à la dénonciation de la misère des Cambodgiens, le drame des Occidentaux n’est pas moindre.
Les « petits blancs » :
La mère fut victime des agents cadastraux de Kam ; victime du monde colonial :de ses leurres, de ses imposteurs, de ses corrompus. Et Marguerite Duras dresse un tableau satirique de la colonie française d’Indochine à la fin des années vingt, de la condition des petits Blancs.
La mère rappelle : «J’ai travaillé pendant quinze ans et, pendant quinze ans, j’ai sacrifié jusqu’au moindre de mes plaisirs pour acheter cette concession au gouvernement». Mais, ignorante de la pratique coloniale des pots-de-vin, des «mystères de la concussion», de «la puissance discrétionnaire quasi divine» des fonctionnaires, elle n’a pas su se concilier «les chiens du cadastre» dont elle vitupère «l’ignominie», les «fabuleuses fortunes» . Ils lui ont vendu une concession incultivable qu’elle et ses enfants sont «les quatrièmes» à occuper, eux et leurs prédécesseurs étant «tous ruinés ou crevés». Les agents du cadastre lui accordèrent avec cynisme un délai «pour la mise en culture». Puis elle dut faire face à «la solidarité irréductible qui régnait entre les banques coloniales», «les prêtres de cette Mecque, les financiers». Et elle soupire : «Je savais bien que s’ils étaient aussi libres, aussi pleins de liberté, c’était surtout parce qu’ils avaient beaucoup d’argent».
Les « fortunes coloniales »:
La mère a été bernée par ces «grands vampires coloniaux» , ces «grands fauves», «ces seigneurs et ces enfants de roi» qui, faisant preuve d’«une aisance à vivre extraordinaire» , portant le «costume blanc, couleur d’immunité et d’innocence» et leurs femmes arborant la même «élégance estivale» , n’en sont pas moins «des ordures». Leur prospérité est fondée sur l’exploitation du pays : «le latex coulait. Le sang aussi. Mais le latex seul était précieux, recueilli, et, recueilli, payait. Le sang se perdait. On évitait encore d’imaginer qu’il s’en trouverait un grand nombre pour venir un jour en demander le prix». Cette puissance coloniale est illustrée par le père de M. Jo qui est «un très riche spéculateur dont la fortune était un modèle de fortune coloniale. Il avait commencé par spéculer sur les terrains limitrophes de la plus grande ville de la colonie [...] Il avait fait construire des maisons de location à bon marché».
Description de la « ville » :
Mais c’est dans la grande ville, qu’ils se pavanent vraiment. La description en est d’abord objective : il faut distinguer «deux villes dans cette ville, la blanche et l’autre». Mais la description devient vite très subjective : le «haut quartier» est «un espace orgiaque», «un bordel magique» , un «éden» , un «théâtre» où «la race blanche pouvait se donner, dans une paix sans mélange, le spectacle sacré de sa propre présence» , tandis qu’en bas sont relégués «les blancs qui n’avaient pas fait fortune, les coloniaux indignes» , «la pègre blanche» qui «s’encasernent dans les pulluleux bordels du port» mais étaient «ce qu’il y avait de plus honnête, de moins salaud dans ce bordel colossal qu’était la colonie».
Ces petits extraits l’auront prouvé : l’effet du colonialisme malgré ses différents effets sur le territoire conquis, est universel : il y a toujours des dominants qui exercent un pouvoir sur les dominés .
Nous allons grâce à un roman témoignage : « un barrage contre le pacifique », de Marguerite Duras, étudier le cas de l’occupation d’une possession française : l’Indochine.
Le livre :
Dans le sud de l’Indochine durant les années 1920. Une vieille veuve, fatiguée et malade, vit avec ses deux enfants, Joseph et Suzanne, vingt et dix-sept ans, dans un bungalow isolé de la plaine marécageuse de Kam en Indochine...
La vieille femme, ignorante des coutumes coloniales qui nécessitent d'avoir recours à des pots de vin, a investi toutes ses économies dans une concession incultivable que les grandes marées du Pacifique inondent régulièrement. Elle se bat alors contre la direction générale du cadastre, puis en désespoir de cause décide de construire, avec l'aide des paysans de la région, un barrage afin de contenir les grandes marées....
Si l’intrigue du livre est passionnante, sa richesse documentaire l’est sans doute autant. Marguerite Duras consacra surtout son attention au terrible trio de ses personnages. Mais la matière autobiographique ne l’empêcha pas de fixer déjà, dans ce roman colonial qui fustigeait les turpitudes de certains administrateurs français en Indochine, ce qui devint sa grande problématique : la dénonciation de l’injustice sociale, de la morale bourgeoise.
L’Indochine Française :
Ce pays était la colonie française d'Indochine, la péninsule appartenant à l'empire colonial français : le Laos et le Cambodge étaient deux protectorats ; le territoire vietnamien était constitué d'une colonie, la Cochinchine, dont Saigon était la capitale, et d'un protectorat, l'Annam-Tonkin.
Si l'investissement financier prospérait, si l'industrie naissait, en revanche l'agriculture progressait peu : à peine la moitié des terres concédées aux Européens étaient exploitées. Cependant, l’enseignement était plus développé que dans les autres colonies françaises : il y avait 4 % de fréquentation scolaire en Algérie et 30 % au Cambodge. Les parents de Marguerite Duras ne furent pas les seuls professeurs à avoir répondu à l'appel de la propagande coloniale.
La domination française était mal acceptée, surtout au Vietnam où existait déjà un mouvement anticolonialiste à la veille de la guerre de 1914.Marguerite Duras écrivit “Un barrage contre le Pacifique” alors que se déroulait la guerre d’Indochine qui opposait les Français et les nationalistes indochinois et que les intellectuels ayant adhéré au parti communiste commençaient à douter du bien-fondé de cet engagement.
Les enfants de la plaine :
La description des enfants de la plaine, dans le livre de marguerite Duras est une « photographie » de la dure réalité indigène de l’époque coloniale. Aux bébés, il faut «leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché».
Soumis à un tel climat, les Cambodgiens montrent une «torpeur millénaire». «Leur misère leur avait donné l’habitude d’une passivité qui était leur seule défense devant leurs enfants morts de faim ou leurs récoltes brûlées par le sel». En effet, «il y avait beaucoup d’enfants dans la plaine. C’était une sorte de calamité». «Les enfants jouaient de la pluie comme du reste, du soleil, des mangues vertes, des chiens errants. Ils ne cessaient de jouer que pour aller mourir [...] Il en mourait sans doute partout». Faute de quinine, ils sont aussi victimes du paludisme. Ce thème des enfants, de leur nombre, de leur perpétuelle agitation, de leur faim éternelle, de leur mort prématurée, s’impose à travers le livre qui se clôt même sur leur évocation : «Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil. On entendait leurs doux piaillements sortir des cases».
Un peuple miséreux :
Plus malheureux encore que les enfants Cambodgiens, il y a ce vieux Malais qu’est «le caporal» dont «la grande affaire de sa vie était la piste» car, lors de sa construction, «à côté des bagnards, il y avait les enrôlés comme le caporal» , surveillés par la «milice indigène pour indigènes». Puis il «avait fait ou essayé de faire tous les métiers» et même «l’épouvantail à corbeaux dans les champs de riz». Et ce travail incessant est nécessaire parce que sa femme «enfantait sans arrêt et toujours des œuvres des seuls miliciens» ; il est vrai que, «lorsqu’elle était plus jeune, elle avait fait la putain dans toute la plaine pour quelques sous». Aussi, la mère à peine morte, était-il parti : «il ne pouvait pas perdre un seul jour pour trouver du travail». «Le caporal» représente ainsi, dans le roman, tous les indigènes indochinois et leurs maux.
Les « blancs » :
Si l’exotisme prête à la dénonciation de la misère des Cambodgiens, le drame des Occidentaux n’est pas moindre.
Les « petits blancs » :
La mère fut victime des agents cadastraux de Kam ; victime du monde colonial :de ses leurres, de ses imposteurs, de ses corrompus. Et Marguerite Duras dresse un tableau satirique de la colonie française d’Indochine à la fin des années vingt, de la condition des petits Blancs.
La mère rappelle : «J’ai travaillé pendant quinze ans et, pendant quinze ans, j’ai sacrifié jusqu’au moindre de mes plaisirs pour acheter cette concession au gouvernement». Mais, ignorante de la pratique coloniale des pots-de-vin, des «mystères de la concussion», de «la puissance discrétionnaire quasi divine» des fonctionnaires, elle n’a pas su se concilier «les chiens du cadastre» dont elle vitupère «l’ignominie», les «fabuleuses fortunes» . Ils lui ont vendu une concession incultivable qu’elle et ses enfants sont «les quatrièmes» à occuper, eux et leurs prédécesseurs étant «tous ruinés ou crevés». Les agents du cadastre lui accordèrent avec cynisme un délai «pour la mise en culture». Puis elle dut faire face à «la solidarité irréductible qui régnait entre les banques coloniales», «les prêtres de cette Mecque, les financiers». Et elle soupire : «Je savais bien que s’ils étaient aussi libres, aussi pleins de liberté, c’était surtout parce qu’ils avaient beaucoup d’argent».
Les « fortunes coloniales »:
La mère a été bernée par ces «grands vampires coloniaux» , ces «grands fauves», «ces seigneurs et ces enfants de roi» qui, faisant preuve d’«une aisance à vivre extraordinaire» , portant le «costume blanc, couleur d’immunité et d’innocence» et leurs femmes arborant la même «élégance estivale» , n’en sont pas moins «des ordures». Leur prospérité est fondée sur l’exploitation du pays : «le latex coulait. Le sang aussi. Mais le latex seul était précieux, recueilli, et, recueilli, payait. Le sang se perdait. On évitait encore d’imaginer qu’il s’en trouverait un grand nombre pour venir un jour en demander le prix». Cette puissance coloniale est illustrée par le père de M. Jo qui est «un très riche spéculateur dont la fortune était un modèle de fortune coloniale. Il avait commencé par spéculer sur les terrains limitrophes de la plus grande ville de la colonie [...] Il avait fait construire des maisons de location à bon marché».
Description de la « ville » :
Mais c’est dans la grande ville, qu’ils se pavanent vraiment. La description en est d’abord objective : il faut distinguer «deux villes dans cette ville, la blanche et l’autre». Mais la description devient vite très subjective : le «haut quartier» est «un espace orgiaque», «un bordel magique» , un «éden» , un «théâtre» où «la race blanche pouvait se donner, dans une paix sans mélange, le spectacle sacré de sa propre présence» , tandis qu’en bas sont relégués «les blancs qui n’avaient pas fait fortune, les coloniaux indignes» , «la pègre blanche» qui «s’encasernent dans les pulluleux bordels du port» mais étaient «ce qu’il y avait de plus honnête, de moins salaud dans ce bordel colossal qu’était la colonie».
Ces petits extraits l’auront prouvé : l’effet du colonialisme malgré ses différents effets sur le territoire conquis, est universel : il y a toujours des dominants qui exercent un pouvoir sur les dominés .
Nour, Chanez, Sarah et Meriem
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